
Dans un billet intitulé De l’intérêt des jeux de rôle, Janus écrit un truc qui me permet de mettre le doigt sur ce que je cherche à coucher sur papier depuis quelques jours, dans la foulée d’une interaction BDSM qui s’est terminée en queue de poisson :
« L’intérêt dans les jeux de rôles, c’est cette idée d’endosser un rôle non pas en tant qu’acteur, mais simplement pour se laisser habiter par une énergie différente. »
Je me demande si on dit/pense la même chose.
Je ne crois pas aux jeux de rôles érotiques en tant que jeux. Le rôle des jeux de rôles érotiques réside davantage dans l’énergie investie, dans la charge émotive contenue dans la prise en main du personnage, dans les territoires intérieurs qu’il permet d’explorer et de vivre à fond la caisse, le temps d’une soirée ou sur une plus longue période.
Je suis, elle est
Quand mademoiselle I…endosse la casquette de chauffeure de Monsieur, je ne joue pas à ce Monsieur important qui se laisse conduire, qui donne des instructions, qui exige telle destination : je suis Monsieur. Et tout son corps à elle le voit, l’entend, le sent, le ressent.
C’est une autre facette de moi que je laisse exprimer volontiers sans honte et sans trop de pudeur, et de façon dosée, sans le vouloir tout à fait consciemment. Au sens que je ne cherche pas à doser, c’est comme ça, point.
(C’est comme au tennis, je ne tiens pas à écraser l’autre, préférant le plaisir de l’échange, fut-il haletant.)
Quand l’acteur entre dans la peau du personnage, il ne joue pas le personnage, il est ce personnage, il entre en lui. C’est ce qui le rend vrai, crédible. Pinocchio se meut soudainement. Il s’allume, devient habité, vivant. Il nous touche.

C’est la raison pour laquelle dans mon livre à mouah, Ah-nold n’est pas un acteur. Dans chaque film où je le croise, il joue à Ah-nold enfilant tel ou tel costume. Le génie vient de la créativité des costumiers et de ti-culs qui ont appris à manier des logiciels de 2D pour en faire un cyborg déjanté. Il n’est jamais pour mouah ce cyborg. Il n’est pas vrai. Il n’est pas crédible. Je ne le crois pas.
Quand il joue, il est
Quand je vois Yul Brynner jouer le cowboy-robot (un vieux film qui me revient en mémoire en évoquant Ah-nold… après une courte recherche, il s’agit de Westworld), il me donne la chienne car il « est » un robot. Je ne suis plus tout à fait certain qui il est. Je sais pourtant que c’est un film, mais tout de même, il y a quelque chose qui m’échappe.
Quand je vois Daniel Auteuil jouer un lanceur de couteaux, il est un lanceur de couteaux. Son regard inquiète, il porte en lui ses zones grises. Il est dans la vérité de son personnage. Il est dans sa vérité car ce personnage l’habite. Ce qui n’est pas le cas quand il joue le gai sortant du placard.
Daniel Auteuil, dans La fille sur le pont, de Patrice Leconte (1999)
Ce quelque chose qui m’échappe
Ce quelque chose qui m’échappe, c’est sans doute ce que la personne soumise et la personne dominante vont chercher dans les jeux de rôles érotiques.
Je me reprends : c’est sans doute ce que certaines personnes soumises et certaines personnes dominantes vont chercher dans les jeux de rôles érotiques.
Entrer en relation avec la vérité de l’autre, c’est ne pas être tout à fait être certain de ce que je vais trouver. Pas se déguiser et « faire semblant de », pas à « jouer à ». Remarquez, on a tout à fait le droit d’allumer sur les déguisements et donner/recevoir des tapes sur les fesses et d’en rester là.
Jouer à, au, u
À mon sens, jouer au cow-boy, au docteur, au papa, au prof, à l’évêque inquisiteur, au dresseur, voire au Vicomte… :- ), c’est plus qu’enfiler une redingote ou une casquette, ou porter un fouet à la ceinture ou une particule devant son nom.
J’ai le sentiment que c’est quand elle n’est plus certaine de rien que la soumise entre dans cette zone trouble, dosée, en équilibre (mais un équilibre précaire) qu’il se passe quelque chose d’important, d’essentiel, de déstabilisant justement.
Idem quand je lui ordonne de « jouer » la pute. Je ne lui demande pas de faire semblant de jouer à la pute : j’attends d’elle rien de moins à ce qu’elle soit une pute. La pute de Monsieur.
Ce qui signifie que je risque d’être déstabilisé, même en étant le pôle dominant de l’interaction.
MONDWEST !
ah mais alors là si j’m’attendais…
que n’ai-je joué à ce film ?!
complètement enfoui depuis ma période de latence dites-donc, faut absssolument que je revois tout cela au moins une fois avant de passer l’arme à gauche
en guise de remerciement cet extrait de L’homme-dé, écrit dans les années ’70 après J-C par le psychiatre américain Luke Rhinehart :
Oui, c’est précisément ce que je soutenais… M. Valmont évoque le fait
que les soumises, en réponse aux exigences des dominants, doivent
souvent jouer des rôles qu’on définit pour elles – servante, captive,
victime, chauffeur, pute et quoi encore, qui vont jouer sur des facettes
différentes de leur érotisme (et du nôtre). Mais nous, dominants, nous
ne sommes pas faits d’un seul bloc. En tant que dominant, je suis
exigeant, mais responsable, à l’écoute, aimant; le jeu de rôle tel que
je l’entends revient à me donner le droit d’être *autrement* en me
faisant bourreau, geôlier, agresseur, etc.
Ainsi, les possibilités sont décuplées du fait qu’en plus de mettre
de l’avant telle ou telle facette de ma partenaire, je me permets de
faire la même chose avec moi-même; ainsi, ça n’est plus la victime et
son Monsieur, mais un agresseur; ça n’est plus la captive et son
Monsieur, mais un geôlier qui la tourmente… M. Valmont a correctement
compris qu’il s’agissait moins d’une question de fringues que plutôt
endosser un “masque de personnalité” qui repousse temporairement à
l’arrière-scène l’homme-dominant-en relation avant de braquer les
projecteurs sur une facette de soi qui rejoint un rôle, un archétype, et
qui est d’autant plus vécue que l’archétype fournit un modèle qui
facilite le fait de s’y projeter!
Je vous rejoins totalement, Messieurs…Je ne joue pas la Domina. Je
SUIS une femme dominante. Je ne deviens pas Madame Sorcha parce que
j’enfile un catsuit de vinyle, mais parce que c’est mon esprit qui m’y
entraîne, et peu importe la tenue, le lieu, l’heure. Mes soumis me
baisent la main, pas uniquement lorsque je leur ai donné rendez-vous.
Mais partout où ils me rencontrent. Car je n’ai pas besoin de me balader
avec un flogger ou un gode-ceinture pour qu’ils voient en moi “Madame
Sorcha”. Madame Sorcha qui peut punir, exiger, consoler, prendre soin,
déstabiliser. Etre habitée par cette facette de ma personnalité, c’est
la vivre, totalement. Et même dans les moments qui l’occultent par
nécessité, cette facette n’est jamais loin.
Sans doute est-ce là aussi la différence entre ceux qui envisagent
le bdsm comme une façon d’aimer,de vibrer, de se sentir en phase avec
eux-mêmes et les autres(c’est du moins mon cas, et je ne veux pas
généraliser…) et ceux qui “jouent”, une heure, une soirée, pour pimenter
cette Saint Valentin si banale. Mais qui, et c’est bien leur droit, du
monde fascinant de la domination/soumission n’en approchent que le bord.
Ce qui est fascinant…c’est la complexité de nos émotions, et leurs multiples possibilités.
“En tant que dominant, je suis exigeant, mais responsable, à
l’écoute, aimant; le jeu de rôle tel que je l’entends revient à me
donner le droit d’être *autrement* en me faisant bourreau, geôlier,
agresseur, etc.” Vous m’ôtez les mots de la bouche/du clavier…
Bienvenue parmi nous, Madame Sorcha.
J’ai envie de vous demander si les soumis qui croisent votre chemin
vous baisent la main parce qu’ils sentent chez la femme que vous êtes
une force particulière ou si c’est une forme de “dévotion naturelle” qui
est à l’oeuvre, un peu comme le feraient des femmes soumises avec un
mâle dit alpha.