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Une notion aux contours flous
L’obéissance me semble une notion aux contours flous, y compris chez les adeptes bdsm les plus aguerris.
Le flou dans la définition de l’obéissance engendre des malentendus malheureux et d’importantes difficultés d’application.
D’un côté, le manque de constance dans l’obéissance de la soumise suscite beaucoup de frustration chez le dominant. De l’autre, la soumise est déçue de ne pouvoir toujours obéir au dominant, ce qui n’est pourtant pas faute d’essayer.
Le dominant souhaitant obtenir des résultats satisfaisants avec une soumise a besoin de bases plus concrètes que la simple affirmation selon laquelle une vraie soumise obéit toujours à ce qu’on lui demande. C’est un peu court.
On éprouve rapidement les limites de cette approche.
Trois paliers distincts dans l’obéissance
Dans sa grille de travail sur les termes de la soumission érotique et les nuances importantes à faire entre la soumise, la servante, l’esclave et la propriété, Sar distingue trois paliers dans l’obéissance.
Cette approche séduit par sa simplicité et son applicabilité.
Chez la soumise, l’obéissance est prise dans son acceptation la plus généralement acceptée dans la vie courante. Une personne adopte un comportement différent parce qu’un autre individu, perçu comme une source d’autorité, le lui demande.
L’obéissance de l’esclave dans le cadre d’une relation d’échange de pouvoirs pleinement consentie est une obéissance totale. Cette esclave accepte toutes les demandes et toutes les décisions prises par la personne dominante.
Elle conserve néanmoins le privilège d’en discuter avec elle. Et cela n’empêche pas l’esclave de prendre des décisions pour elle-même, sur des pans de vie qui la concernent.
Enfin, dans le cadre de la propriété, la personne soumise soumet à la personne dominante toutes les décisions qu’elle doit prendre pour elle-même.
À ce stade, l’obéissance est inconditionnelle. La personne soumise ne remet en cause ni les décisions, ni les demandes de la personne dominante.
Les domaines d’application
L’obéissance s’applique aux domaines sur lesquels les partenaires impliqués s’entendent.
Les partenaires peuvent vouloir limiter l’obéissance à la seule sphère sexuelle. Ils peuvent aussi envisager d’inclure d’autres sphères de leur vie dans l’équation. Cela les regarde.
La durée d’application et la constance
On peut postuler sans trop craindre de se tromper que la durée de l’application de l’obéissance est inversement proportionnelle à son taux de réussite.
En d’autres mots, sur une période très courte, disons le temps d’une séance, l’obéissance inconditionnelle est relativement plus simple à réaliser, que si on souhaite l’appliquer sur une plus longue période.
Cette constance est l’un des enjeux les plus importants de la relation de pouvoir érotique. Quand cette constance faiblit ou disparaît, c’est généralement là que les problèmes surviennent.
Le manque de constance dans l’obéissance de la soumise suscite beaucoup de frustration chez le dominant. Évidemment. Beaucoup de dominants semblent croire qu’il suffit d’exiger pour recevoir.
Corollaire : beaucoup de soumises croient qu’un vrai Maître, c’est celui qui exige. Toujours. Tout le temps. Sans faillir. Sans défaillances. Que son regard gris de morgue fait taire toute velléité.
Deux erreurs fréquentes
Deux erreurs fréquentes surviennent chez les personnes dominantes ayant peu d’expérience de la relation de pouvoir.
De un, je crois fermement qu’exiger, donner des ordres, ça s’apprend. Tout comme le fait d’obéir aux ordres.
Penser que l’on peut tout simplement donner les ordres qui nous passent par la tête ipso facto, c’est la meilleure recette pour mener droit à l’échec de l’interaction bdsm. Tout comme croire que l’on peut obéir à tous les ordres sur le champ.
Un peu moins d’orgueil et un peu plus d’écoute de part et d’autre du manche ne peut jamais faire de tort.
De deux, à vouloir placer la barre trop haute trop rapidement, le dominant s’expose à de cruelles désillusions sur son propre pouvoir.
En cas de désobéissance
Si la soumise tombe dans la désobéissance, le dominant risque davantage d’augmenter la dose que de la diminuer. Sans quoi, il va croire qu’il perd le contrôle de l’interaction.
En augmentant la dose, il ne peut qu’augmenter par le fait même les probabilités que la soumise vive un échec. Or, une soumise qui vit un échec, c’est un dominant qui vit un échec. Cela ne peut que les mener dans une spirale où l’un et l’autre ne peuvent que sortir perdants.
Pourtant, si la soumise est déçue de ne pouvoir toujours obéir au dominant, ce n’est pourtant pas faute d’essayer.
La pression indue vécue par la soumise risque de l’amener, au mieux, à ne pas révéler exactement comment elle se sent. Elle va craindre les représailles, les jugements, le rejet.
Au pire, elle va péter les plombs et l’interaction bdsm risque de dégénérer en guerre verbale.
Les différences entre les paliers de l’obéissance
Il y a une saprée différence entre les trois paliers de l’obéissance précités.
Ce qui me fait croire que, nonobstant les fantasmes et le mélange des genres, on ne peut réellement exiger l’obéissance inconditionnelle dès le départ d’une relation bdsm. Le dominant qui souhaite obtenir un succès sur une longue période de temps imposera à la soumise une gradation dans son obéissance.
Je vois même dans cette gradation une façon simple et efficace pour le dom d’apprendre à gérer l’obéissance de la personne soumise.
Il faut se rappeler que toutes les obéissances ne sont pas pareilles. Toutes les soumises ne sont pas pareilles. Aucune ne réagit exactement de la même manière aux mêmes situations.
Surtout, il ne faut pas se conter d’histoires, l’obéissance inconditionnelle requiert beaucoup de temps, de patience et d’expérience. De part et d’autre du manche.
Même un dominant expérimenté ne saura obtenir une obéissance inconditionnelle d’une soumise novice sur une longue période de temps.
Janus écrit :
Très beau billet. Un bijou de nuances et de lucidité. Merci beaucoup!
Maître H écrit :
Oui la durée de l’application de l’obéissance est inversement proportionnelle à son taux de réussite mais, en plus, elle n’évolue pas de façon constante et régulière. Par contre souvant, et surtout pour une soumise novice, l’obéissance est proportionnelle à son degré d’excitation. C’est à dire que plus la soumise est excitée, plus il sera facile d’obéir à son Maître. Dans des moments d’excitation moindre ou nulle, il sera beaucoup plus ardue pour le Maître d’obtenir ce qu’Il veut. En résumé, l’obéissance suit une courbe ascendante mais irrégulière et ponctuée de haut et de bas. À vulve pleine de jus, il n’y a point de refus…
Maître H
Monsieur Valmont écrit :
Devant l’assiette du morceau de tarte à la lime, qui est sa recette préférée, c’est de lui lancer mi-badin mi-sérieux : “C’est quand c’est difficile que ça compte, mademoiselle, la soumission.”
Oh, cela n’emplit pas la vulve de jus sur le champ, mais avec de la patience…
Entretemps, il y a le morceau de tarte !
liberté{+} écrit :
C’est un mandat en blanc que le « Maître » demande à sa soumise.
Obéir, dans le sens Domination/soumission, c’est un mandat de renoncement à son discernement, à son esprit critique,à sa conscience, c’est nier sa liberté et sa propre individualité.
En ce sens, l’obéissance est une aliénation.
Mais ne pas obéir, c’est demeurer à jamais sous l’emprise de l’ego, prisonnière de ses conditionnements, coupé de son choix de vivre sa soumission.
Et c’est une autre aliénation !
Obéir, signifie “écouter”,”au devant de, à la rencontre de”. La véritable obéissance consiste à se mettre à l’écoute de ce qui vient à notre rencontre. Obéir, c’est s’ouvrir à l’Autre, sous toutes ses formes.
La véritable obéissante, qui est à l’écoute à la fois de la réalité des situations qu’elle rencontre et de l’être qu’elle est, sait dire “non” lorsqu’une demande ne lui semble pas juste. Obéissance et résistance ne s’opposent pas. Mais son “non” est toujours à la fois un oui à elle-même et un oui à la réalité. Et c’est ce oui, le oui de l’obéissance, qui rend possible toute la grandeur et la richesse de sa soumission.
André Comte-Sponville décrit la différence entre le plaisir féminin et le désir masculin en ces termes :
” L’autre enseignement de la sexualité est la différence qu’il y a entre le désir et le plaisir. J’adhère à la croyance dominante, qui juge que le plaisir féminin est plus fort que le plaisir masculin, et le désir masculin plus fort que le désir féminin. La façon dont le sexe peut envahir la tête d’un homme, quand il est en état de frustration, est une expérience surprenante. C’est toujours une surprise de constater l’écart entre l’exaltation que produit le désir et l’extrême simplicité du plaisir. Je ne suis pas contre le plaisir, bien au contraire. Mais je trouve que le plus beau cadeau qu’il puisse nous faire c’est de nous faire voir la sexualité dans sa simplicité. Je pense que Sade n’a pu écrire ses romans, qui accordent une telle importance à la sexualité, tellement exagérée, presque délirante, que parce qu’il était en prison et donc hors d’état de vivre une sexualité normale. Les romans de Sade sont écrits en situation de frustration. Mieux vaut le plaisir, et la paix du plaisir !”
Je suis bien d’accord : « Mieux vaut le plaisir et la paix du plaisir »
Ceci dit, je ne peux m’empêcher de faire le parallèle : Si le dominant en situation de frustration développe autant son imaginaire sexuel, il devient très facile de comprendre ce qui motive l’obéissance et la désobéissance.
Moi aussi je suis toujours surprise de constater l’écart entre l’exaltation que produit le désir et l’extrême simplicité du plaisir.
Il n’y a rien de tel qu’un dernier morceau de tarte à la lime que tu savoures devant ton Maître. Ressentir ta vulve qui se remplit tout doucement en observant son regard plein de désirs et surtout comprendre que le mot obéir veut dire s’ouvrir à l’autre sous toutes ses formes…
Il est bien certain que la frustration ne vient pas automatiquement, mais elle viendra avec de la patience.