Je lisais récemment dans le blogue d’une curieuse du bdsm [site disparu depuis], un billet sur la domination-soumission qui me permet d’approfondir un truc qui me chicote depuis un bout :
On parle souvent d’échange de pouvoir. Je n’aime pas ce terme et je lui préfère celui de « don ». Le pouvoir est donné oui, mais en aucun cas « échangé ». Il faut être clair, un seul des deux partenaires a le pouvoir, un seul guide, un seul fait avancer l’autre.
Oui, le don, le fameux don de la soumise. Dans sa première contribution à cercle O, liberté{+} nous avait fait le plaisir de relayer un texte important sur cette notion galvaudée et à la limite dangereuse.
Qu’on le veuille ou non, ce type de propos nous ramène encore à cette notion du maître-tout-puissant-qui-sait-tout et de la soumise-tête-de-linotte-qui-ne-sait-rien à qui l’Unique le dom charmant montrera tout ce qu’elle devra savoir, afin de la sculpter à son image.
Mais ce n’est pas tout à fait ce que m’inspire le billet de cette curieuse N.
Je souhaite davantage creuser ici cette dynamique qui survient entre le dominant et la soumise lorsque se met en place le cadre bdsm.
Je veux parler de cette tension qui apparaît petit à petit entre eux. Cette tension distingue nettement la relation bdsm d’une relation amoureuse classique.
Débroussaillons un peu au préalable.
L’échange de pouvoir érotique : une dynamique fluide
Dans une interaction bdsm équilibrée, l’échange de pouvoirs n’est jamais définitif. C’est une dynamique fondée sur le ponctuel et non sur une durée continue. C’est le cas même dans les couples dits bdsm quand on y pense bien.
La soumise n’offre pas ses pouvoirs une fois pour toutes. Je ne crois pas un seul instant à ce fantasme si répandu de part et d’autre du manche. Sinon pour des laps de temps très courts. Et encore.
En fait, elle ne donne rien, la soumise, mon vieux. Au mieux, si on n’aime pas le terme « échanger », on peut dire qu’elle te prête, sur une base temporaire, sa bouche, ses yeux, ses mains, ses orifices, sa luette, son esprit, son temps, ses idées, ses énergies, ses ressources, alouette.
Pour un laps de temps x à des conditions y.
C’est du donnant-donnant.
C’est un prêt avec intérêt.
Il y a même espérance d’un retour sur investissement.
Un équilibre de fil de fériste
L’exercice du pouvoir généré par ce prêt est le résultat d’un équilibre de fil de fériste; il existe une tension entre les partenaires impliqués, une tension positive.
L’aura, l’aura pas? Me donnera-t-il ou ne me donnera-t-il pas ce que je veux, ce que j’attends et espère?
Je crois de plus en plus fermement que l’équilibre relationnel bdsm naît de cette nécessaire, légitime et saine tension entre la soumise et le dominant, entre les désirs de l’une et les désirs de l’autre, entre leurs motivations respectives, leurs besoins, leurs fantasmes.
Une soumise trop faible, ou son contraire, une soumise trop têtue… un dom trop conciliant, ou un dom qui se la pète… et l’équilibre peut foutre le camp à tout moment.
Au mieux, la soumise se donne petit à petit, elle s’abandonne, mais jamais elle ne donne entièrement tous ses pouvoirs, ni trop rapidement.
D’ailleurs, on les connait les résultats quand elle se donne trop vite, trop tôt : le dominant se désintéresse, il trouve la soumise « trop facile » et part à la recherche de d’autres partenaires, soit dans le cadre de leur relation (le fameux triolisme) ou hors-cadre.
Je charrie à peine.
Résister ou se donner?
Attention : je ne dis pas que la soumise doit se battre avec le dominant, qu’elle doit se rebeller et jouer à la polissonne, afin de conserver l’intérêt du dominant, n’est-ce pas mlle liberté[+] ?
C’est là un lieu commun chez beaucoup de femmes se disant soumises de jouer les dures, de se montrer difficiles à mater, de se montrer fortes (on ne donnera pas de noms). Comme si elles attribuaient à leur soumission une valeur, alors qu’elles ne souhaitent rien de moins que de lâcher les rênes.
J’y vois là une contradiction fondamentale : elle veut se donner mais elle résiste. Elle cherche à contrôler les paramètres au lieu de simplement laisser le dom « faire sa job ». Au lieu de goûter les sucs grisants de l’abandon, elle s’étourdit à vouloir tout prévoir, tout deviner, tout contrôler.
Bien sûr que durant les négociations, la soumise doit contrôler son environnement. Il en va de son… intérêt.
Bien sûr que durant cette phase pré-séances dont on fait trop souvent l’économie sous divers prétextes, la soumise doit disposer de tous ses leviers, si elle ne veut pas se retrouver en fâcheuse posture lorsque le dominant en face d’elle dévoilera sa vraie nature, une fois passée la danse du coq.
Bien sûr qu’au retour de voyage, lors de l’après-séance, la soumise reprend le contrôle de ses leviers, rééquilibre son vaisseau d’or, retrouve ses amis, ses enfants… parfois même son mari.
Bâtir la tension
Je reviens à la phase de négociations.
Durant cette phase, si le dominant est en mesure de se maîtriser, c’est à lui de ne pas sauter à pieds joints sur la soumise, en la laissant venir à lui, en ralentissant la cadence de l’interaction afin de marquer la prééminence de sa volonté sur celle de la soumise, et de la créer, justement, cette tension utile, créatrice.
C’est au dominant de remettre à la soumise ses pouvoirs, si celle-ci, trop excitée ou inconsciente des dangers, va trop loin trop vite.
C’est en cela que l’échange de pouvoirs érotique comporte une tension que je compare au courant alternatif.
Cette tension va de l’un à l’autre constamment, parfois pour une courte période de temps, parfois plus longuement. Ce pouvoir n’est jamais complètement 100 à 0, où 100 correspondrait au pouvoir ultime du dom, dans une configuration de propriété, et où 0 correspondrait à la situation où la soumise garde la mainmise sur tous ses faits et gestes.
Dès que le dominant et la soumise s’entendent sur les conditions et entrent dans l’interaction bdsm, le dominant détient dès lors les rênes du pouvoir (dans la limite des pouvoirs conférés) dans le sens qu’il supervise la scène, il oriente son déroulement, il amène la soumise là où il croit utile, amusant, excitant de la mener.
Durant la scène, la tension est là, palpable. Dans ses yeux. Dans ses sourires, dans ses mots balbutiés, dans ses gestes…
« Il faut être clair, un seul des deux partenaires a le pouvoir, un seul guide, un seul fait avancer l’autre ».
Le dominant guide la soumise. Lui seul fait avancer l’autre. Comme cela est charmant de poésie chevaleresque. Mais le guide, d’où tient-il ce qu’il faut savoir pour guider l’autre ? Un soir d’illumination sur le mont Sinaï ?
Il n’y a pas que le dom qui fait avancer la soumise. La soumise aussi fait avancer le dom.
C’est un two-way switch cette affaire-là. L’échange de pouvoirs érotiques est un processus bi-directionnel. C’est justement lorsque l’échange ne se fait que dans un sens que se produisent les conflits, les errances, le déséquilibre.
Par l’expression de ses besoins et de ses désirs, la soumise aiguille le dominant sur les voies à suivre pour l’envoyer en orbite.
Elle lui fait part de ses craintes, de ses malaises, de ses doutes. Elle lui fait part de son histoire personnelle, ce qui va éclairer le dominant sur certaines réactions qu’elle peut avoir dans certaines situations particulières.
lapetitebrune écrit :
texte éclairé et bon à lire pour remettre en avant qu’une relation,bdsm ou non, inclue forcément un partage, une interaction, un échange…ce qu’aurait tendance à nier le texte que vous citez.
bien à vous,
lpb.
Nivalane écrit :
J’aime beaucoup votre blog et je vous lis depuis longtemps maintenant mais je trouve qu’ici vous avez oubliez une partie de mon texte :
Avec ces nouvelles données j’espère que mes mots seront mieux compris. Je n’aime pas le terme “échangé” car cela fait un peu troc.
Mais la suite de ce que vous avez mis ici exprime bien le fait que la soumise AUSSI guide… différemment mais elle le fait bien sûr. Et forcément le guide apprend aussi, il avance… ILS avancent ensemble. Une relation BDSM, comme toute relation, est basée sur le partage.
Je tenais à clarifier mes propos ou du moins à ajouter ce que vous aviez omis… sourire
Monsieur Valmont écrit :
Les mots que vous ajoutez, Nivalane, ne changent en rien la nature de votre affirmation sur laquelle je me suis penché.
Sinon, eh bien oui, l’échange de pouvoirs est un troc, chacun offre quelque chose en retour de quelque chose. Je me demande ce que vous lui trouvez d’inconvenant. Le partage est bien un échange.
Nivalane écrit :
Si cela change tout justement. Que vous vous serviez des motes d’une autre personne pour vous même donné un avis c’est une chose mais là vous allez plus loin en supposant des mots que je n’ai pas dits et surtout sur lesquels je ne suis pas d’accord.
“Le dominant guide la soumise. Lui seul fait avancer l’autre. Comme cela est charmant de poésie chevaleresque. Mais le guide, d’où tient-il ce qu’il faut savoir pour guider l’autre ? Un soir d’illumination sur le mont Sinaï ?”
Vous m’avez cité mais vous avez mal interprété mes propos. Tout cela car je n’aime pas le terme échange ? Alors que tout au long de mon texte je parle d’autres notions toutes aussi importantes telles que le partage ou le respect ?
Mettez les mots que vous voulez là où vous le voulez mais n’interprétez pas ce que vous voulez dans les mots des autres !
Monsieur Valmont écrit :
Oui, c’est intéressant la tension.
On peut alors aller de l’autre côté du miroir des mots, faire
l’économie des formules de politesse et les civilités qui n’en finissent plus, entrer de plain-pied dans le vif du sujet.
C’est intéressant la tension dans la mesure où l’on voit ce que les fards sociaux ne camouflent plus : la nature de la personne. Comment elle est. Comment elle se comporte. Comment elle réagit quand on s’adresse à elle.
Quand on lui demande ce qu’elle veut dire réellement afin d’être bien certain de saisir son propos, que de choses nous apprenons sur la personne, sur ses stratégies de langage et ses mécanismes de défense et ce, sans même chercher à la prendre en défaut.
Il n’y a pas à dire, c’est intéressant la tension.
Maître H écrit :
Hum! Quel titre pertinent, car il semble y avoir un début de “tension entre la soumise et le dominant”. Mais, blague à part, Je dois dire que Je n’ai jamais été un grand adepte du terme “échange de pouvoir”. Ce n’est pas tellement le terme “échange” qui Me chicote parce qu’en réalité, c’est vrai qu’il y a échange. On peut aussi appeler cela un “partage”. À Mon très humble avis de dominant-qui-apprend-sur-le-tas, l’échange ne situe pas au niveau du pouvoir car seul la soumise cède le pouvoir, la contribution du Maître prenant plutôt une autre forme. Sur ce, bonne journée à tous et à toutes.
Maître H
marc écrit :
je ne crois pas à l’échange, cela sous entend une notion de réciprocité, de corrélation : tu me donnes, alors je te donne…
j’ai cru longtemps que la comfiance de la soumise pour le dom et que le respect de ce dernier pouvaient suffire à cimenter la relation
mais j’ai appris justement qu”il n’y a pas que le dom qui fait avancer la soumise et que la soumise aussi fait avancer le dom
alors je pense qu’il faut parler de don mais en considérant que chacun des deux doit être à même de donner naturellement à l’autre sans toutefois attendre en retour mais sans oublier de faire son “devoir”
les dons ne sont plus alors des échanges mais des offrandes, des invitations, des reconnaissances, des déclarations.
et si l’un des deux oublie de faire ce don de lui par négligeance, par présomption, par peur ou par appréhension que se produisent les conflits, les errances, le déséquilibre.
et c’est sans doute le plus difficile : savoir se donner au bon moment, savoir se donner justement (ni trop, ni trop peu), savoir deviner ce que peut espérer l’autre, savoir se dépasser sans se perdre.et rester authentique
le respect, le partage, l’amour ne suffisent parfois pas…il faut aussi de la sagesse, du recul et peut etre quelques errances pour découvrir cela
liberté{+} écrit :
Bonjour Monsieur,
J’écrirais bien mes commentaires sur ce texte très intéressant et en particulier lorsque vous dites :
“je ne dis pas que la soumise doit se battre avec le dominant, qu’elle doit se rebeller et jouer à la polissonne, afin de conserver l’intérêt du dominant, n’est-ce pas mlle liberté[+] ?”
Mais Maître me l’a interdit
Au plaisir de discuter avec vous.
Maître H écrit :
Cher Valmont, c’est une belle qualité que Vous avez que de tentez de comprendre ce qui se cache derrière les réactions des gens.
L’analyse du comportement à travers celles-ci est quasi essencielle quand vient le temps d’oeuvrer sur ce chemin parsemé d’embûches et d’embusquades qu’incombe une prise en charge. Cela doit Vous être bien utile sur le terrain.
Belle photo pour illustrer Votre texte, très inspirant.
J’expliquais justement dernièrement à fidelle l’utilité d’être maintenue ainsi pour les besoins d’un scénario.
Maître H
Monsieur Valmont écrit :
Vous évoquez cette photo inspirante. Il me souvient d’avoir déjà croisé le corps de votre soumise dans cette posture compromettante, cher Maitre. Évidemment, elle n’en sut rien, cagoulée qu’elle était.
Mais la tension était palpable.
Monsieur Valmont écrit :
Toujours au sujet de cette tension entre le dominant et la soumise, on croise souvent des doms qui cherchent à créer sur le champ une tension entre eux et toutes les soumises qui passent dans leur champ de vision.
Le dom ne connaît pas la soumise, il ne lui a jamais parlé auparavant, et pourtant, tout de suite, là, il cherche à créer cette tension par tous les moyens imaginables, allant parfois jusqu’à imposer l’obéissance sur le champ.
C’est un joli fantasme, mais…
Les soumises réagissent drôlement aux dominants qui ne cherchent pas à imposer dès le premier contact cette tension. Elles croient souvent alors que le dominant n’est pas intéressé.