La personne dominante n’est pas à l’abri des mauvaises rencontres. Dans le bdsm comme ailleurs, on peut tomber sur une personne soumise qui joue à des jeux psychologiques qui ne sont pas sains, ou qui éprouve des difficultés relationnelles importantes.
Dans les sites de rencontres, les forums et les salles de clavardage à saveur bdsm, combien de soumises ne croise-t-on qui se déclarent des victimes. Victimes de dominants peu scrupuleux, victimes de dominas qui se défoulent sur elles sans égard envers leurs préoccupations et leur santé, victimes de situations désavantageuses, victimes dont personne ne tient compte, sinon pour les inviter à un diner une soirée de cons connes en guise de chair à fessée.
Les victimes de la vie sont nombreuses dans la sphère bdsm.
J’ai déjà abordé brièvement dans ce blogue la question de la confiance, une condition psychologique essentielle à mon sens, et dont le dominant doit tenir compte lorsqu’il souhaite asservir une soumise sur une période plus ou moins longue, au lieu de s’en tenir uniquement aux formes de son cul ou à ses promesses de docilité et de perversités.
Il y a quelque temps à la Grande Bibliothèque, je suis tombé par le plus grand des hasards sur un tout petit bouquin au titre sans équivoque : Victime, bourreau ou sauveur : comment sortir du piège ?.
Son auteur, Christel Petitcollin, y écrit des trucs fort tripatifs, comme dirait l’autre.
Oui, je sais, vous me direz que les dominants ne se font jamais prendre à aucun piège de la sorte.
Le rôle de la victime consiste à être pur, innocent et réduit à l’impuissance. La victime est une personne fragile en apparence, plaintive voire pleurnicharde, malheureuse et passive. Pleine de bonne volonté, mais poursuivie par des catastrophes, elle est de surcroit gaffeuse et si énervante qu’on ne peut s’empêcher de la remettre à sa place.
Cela vous semble si loin du bdsm, j’aurais dû m’en douter. Et pourtant, read on por favor.
Elle cherche à vous culpabiliser d’aller bien quand elle est si mal. Elle insinue que vous avez de la chance (et pas elle), niant les moyens que vous vous donnez pour avoir ce que vous avez. Son objectif : vous inspirer de la pitié pour que vous la preniez en charge et vous rendre responsable de sa souffrance comme de son éventuel futur bonheur.
Toujours pas convaincu? Comme lancerait le jeune clerc amouraché d’Emma Bovary, qui n’a que faire de la destination… « continue cocher, continue! »
Pour arriver à ses fins, elle peut aussi se faire séductrice et vous flatter : « Tu es la seule personne qui me comprenne » ou « Je ne sais pas ce que je deviendrais sans toi ! » Si elle est adroite, elle arrivera même à vous faire croire que vous avez beaucoup à gagner à vous occuper d’elle.
J’attire votre attention sur le fait que grammaticalement, le terme de victime n’existe qu’au féminin. Pourtant, de nombreux hommes sont tout aussi capables que les femmes d’être passifs et gaffeurs, tout aussi doués pour se faire prendre en charge et savent aussi très bien inspirer de la pitié et de la culpabilité.
Bien entendu, vous n’avez jamais croisé une telle personne soumise victime dans votre vie.
Les bénéfices d’être une victime
Il existe de nombreux bénéfices à jouer le rôle de la victime, et non des moindres.
Le rôle de victime attire la sympathie et la pitié. Il permet donc de monopoliser beaucoup d’attention. Il assure aussi une impunité totale et donne la possibilité de ne pas répondre de ses actes, puisque le postulat de base est qu’une victime est pure et innocente. La plupart des transactions de victime consistent à faire porter la responsabilité aux autres.
« C’est la faute de ce cruel bourreau (ou celle de ce mauvais sauveur) si j’en suis là aujourd’hui. Moi je n’y suis pour rien. »
S’il n’y a pas de bourreau à incriminer, la victime pourra s’en tirer en jouant à Stupide : « Je ne l’ai pas fait exprès. Je ne savais pas. Je n’avais pas compris. » En refusant de faire face à ses actes et à leurs conséquences, la personne qui se place en victime cherche surtout à échapper à la honte. Car lorsqu’on ne sait pas s’évaluer avec objectivité et que l’estime de soi est très basse, la prise de conscience de ses imperfections et de ses erreurs est extrêmement cuisante. Heureusement, il n’est nul besoin de faire son auto-critique, dans le coin de la victime !
Dans les bénéfices secondaires du rôle de victime, il faut aussi tenir compte de ce masochisme dont Éric Berne disait qu’il était un « faute de mieux ».
Jacques Salomé va plus loin et nous invite à reconnaître avec honnêteté l’aspect jouissif de la position de victime.
« , Il y a, dit-il, un grand plaisir à geindre, à se plaindre et à se croire réduit à l’impuissance. » »
Le mécanisme de la culpabilisation
Dans BDSM ou Abus : parlez-en !, un forum d’aide destinées aux victimes de violences physiques et psychologiques liées aux dérapages du BDSM, je fus assez surpris par la violence des réactions à mon propos sur les prédateurs et les prédatrices dans l’univers BDSM. Je disais, en substance, que s’il y a des prédateurs et des prédatrices, c’est qu’il y a des victimes consentantes.
Après tout, mon discours depuis toujours en est un de responsabilisation de nos actes.
Je n’ai pu m’empêcher de repenser à cette « discussion », en lisant Petitcollin :
« Le victime est d’une certaine façon un gardien de but : le ballon « responsabilité » ne doit absolument pas passer par son coin. Puisqu’une victime est pure et innocente, elle n’a forcément aucune responsabilité dans ce qui lui arrive.
« C’est pourquoi, dès qu’on va insinuer qu’elle pourrait peut-être avoir une implication dans ses ennuis, elle va vivement s’indigner, c’est-à-dire bloquer puis relancer le ballon le plus loin possible. Comment osez-vous l’accuser si cruellement alors qu’elle a fait de son mieux et que tout est de la faute d’un bourreau qui la persécute ou d’un sauveur dont l’aide inadéquate l’a mise en difficulté !
« Je vous invite à observer l’habileté des victimes à rejeter toute part de responsabilité dans leur propre malheur. C’est quelquefois du grand art, surtout quand elles vous font la prise du judo morale d’abonder dans votre sens en s’auto-dénigrant. Vous vous sentirez très vite monstrueux d’avoir accablé cette si fragile personne en lui rappelant à quel point elle est nulle, stupide, incapable… Mais si votre victime est une véritable professionnelle du triangle, l’idée qu’elle puisse avoir une quelconque part de responsabilité dans son malheur ne vous effleurera même pas.
« Que devient le ballon « responsabilité » lorsque la victime l’a si adroitement bloqué et renvoyé ? Eh bien, il atterrit dans les bras du bourreau ou dans ceux du sauveur. Et l’essai ainsi transformé convertit comme par magie la « responsabilité en « culpabilité » : culpabilité d’être un si mauvais sauveur qui enfonce sa victime au lieu de la secourir ou culpabilité d’être si cruel avec une personne si vulnérable.
« C’est d’ailleurs un avantage non-négligeable de la position de victime : elle est « désarmante », c’est-à-dire qu’elle permet réellement de désarmer l’ennemi.
« La culpabilisation consiste à rendre l’autre responsable de ce que l’on vit. La culpabilité, en retour, provient du fait d’accepter de se rendre responsable de ce que vit l’autre. Le grand oublié de ce trafic de responsabilités est le pouvoir d’agir qui devrait y être systématiquement associé. »
Je ne peux que recommander à tout personne dominante de lire Victime, bourreau ou sauveur : comment sortir du piège ?, avant de lui donner son premier rendez-vous à cette garce.
Que voilà quelques soirées de lecture bien investie.
Je reviendrai sur les jeux psychologiques. Ce sont des mécanismes qui à défaut d’être plaisants à vivre, sont très intéressants à « voir » et à démonter.
duc leto2 écrit :
Bonjour Valmont,
Tres interessant votre post.
Par contre le lien sur bdsm ou abus n’est pas bon (le forum a changer d’adresse : bdsmouabus.monforum.com ). Pas moyen de retrouver le sujet (des prédateurs et prédatrices….) dans l’ancien forum. Peut être sur le nouveau ?
Quoi qu’il en soit, Ce que vous décrivez ici est plus de l’ordre du pathologique , non ??
De plus un dominant qui ne recherche qu’un corps aura beaucoup de difficulté d’apprehender ce type de comportement chez une soumise. Idem s’il se pense déjà avoir une vocation de sauveur, et ceci avant même de pendre en “charge” quelqu’ un.
Amitié
Duc Leto2
Monsieur Valmont écrit :
Je viens tout juste de parcourir le forum BDSM ou abus. Dans son ancienne mouture comme dans sa nouvelle. Effectivement, le fil évoqué n’y figure plus.
Je trouve bien dommage cette purge, pour ne pas dire dommageable. Comme s’il n’y avait qu’une seule parole acceptable. On sait vers où mène ce genre de pensée. L’histoire humaine en est emplie.
À la décharge de ce forum, je ne connais aucun espace semblable où il est possible de discuter entre adultes matures. J’ai connu le même phénomène dans le forum Être à vos pieds. Tout va bien jusqu’à ce qu’on ose poser des questions plus délicates, moins évidentes, moins politiquement correctes. Si on n’embarque pas dans l’auto-congratulation entre copains, la « cohérence interne » des lieux a tôt fait de vous en chasser. Dans le forum des Amis de Germanicus, c’est constamment la chicane.
Cela dit, Leto, oui c’est vrai, on pourrait croire aux premiers abords que ce que Christel Petitcollin décrit relève du pathologique. Nous serions également portés à croire que nous comme dominants, nous serions capables de déceler dès le départ un comportement psychologiquement pathologique chez une soumise.
Eh bien, rien n’est moins sûr. Une soumise qui rejette toute la responsabilité de ce qui lui arrive sur le dominant, nous ne sommes pas encore vraiment dans le pathologique. Nous sommes peut-être davantage pour le moment dans les mécanismes de défense.
duc leto2 écrit :
Voici le fameux lien est bien sur le nouveau forum, ce site ne censure pas a tout va. Il etait simplement difficile a trouvé avec les reamenagements (remerciement a Elle_a_lui pour l’avoir retrouver) :
http://www.bdsm-ou-abus.org/viewtopic.php?t=121
Pour en revenir au different cas (D ou S),effectivement “tous” nous pouvons être dans ce role mais lorsque parle de pathologie. je n’entend pas obligatoirement des cas lourds. le normal et le pathologique ne sont pas aussi clivés.Il y toutes sortent de personnes qui sont dans la normalité mais atteinte de pathologie. Et leur organisation defensive ne se traduisent que par certains signe visible et des situations vecu “repetitivement”.
De ce fait, difficile de juger de la prise de conscience (en lisant le livre) d’une personne qui aurait toujours eu ce systeme de defense puisque sa personnalité depend de toute cette organisation defense.
Il me semble que seul les personnes capables de faire cette distinction tirerons profit du livre. Et ce qu’elles soient soumise ou dominant.
amitié
Duc Leto2
Monsieur Valmont écrit :
Merci Leto pour le lien. Remerciez Elle_a_lui pour mouah.
Malheureusement, faut être inscrit au forum pour le lire.
lylia écrit :
Si je peux me permettre, cette lecture devrait également être recommandée aux personnes soumises. Parfois, on peut avoir des comportement de “victime” sans même s’en rendre compte. Pas toutes les “victimes” sont des garces qui s’en servent pour manipuler les gens autour d’elles. Il peut arriver parfois qu’on adopte ces comportements inconsciemment et si personne ne nous le fait réaliser, on continue à s’y enfoncer jusqu’à ce que ça devienne une manière de vivre tout à fait naturelle.
Et si le comportement de victime peut être dommageable pour les personnes autour de soi, il peut l’être tout autant pour la personne qui se victimise soi-même. Si lire ce genre de bouquin peut servir à ouvrir les yeux ne fut-ce qu’à une seule “victime” et à l’inciter à changer sa vision de la vie et son comportement, ça en fera une “victime” de moins dans ce monde. Et les personnes dominantes pourront dormir un peu mieux
inukshuk écrit :
Personnellement, je pense que ça va au-delà de la soumise, il y a aussi des Doms qui jouent ces jeux. Par exemple en salle, combien de Dom vont jouer la clé de la pitié et reviennent toujours avec des paroles comme:
– Il n’y a jamais de soumise disponible.
– Seule toi peut être ma soumise.
– Toi, tu es une vraie soumise, les autres non.
En fait, chaque personne est susceptible de jouer le rôle de ‘victime’ et sans même embarquer dans la pathologie et la manipulation malsaine et/ou consciente, car ce sont des jeux psychologiques assez communs.
Je dirais même que nous le faisons tous un peu à des degrés différents dans des situations différentes, des temps différents ou avec des personnes différentes, dépendamment de la personne avec qui nous sommes en interaction. C’est-à dire que je peux bien jouer le rôle de ‘victime’ avec une X et jouer au ’sauveur’ avec Y. En être conscient, c’est déjà un grand pas de fait.
Aussi, je suis entièrement d’accord. Ce livre gagne à être lu tout d’abord pour soi et ainsi se permettre de nous reconnaître quand nous entrons dans le rôle de ‘victime’ ou de ’sauveur’. C’est à mon sens, un beau piège à éviter dans un sens comme dans l’autre.
liberté{+} écrit :
Bonjour Monsieur,
J’avais suivi à l’époque votre discussion à ce propos sur le forum BDSM ou abus. Parlons-en!
Je comprenais très bien ce que vous énonciez à ce moment.
Si ma mémoire est bonne, vous faisiez une distinction, du moins je le percevais ainsi, entre l’irresponsabilité d’une personne face à ses choix versus une personne victime d’un acte de violence, d’abus de pouvoir. Votre but dans cette discussion n’était pas de faire taire les victimes de ces crimes, mais que les femmes et particulièrement les soumises se responsabilisent et assument leurs actes, leur choix de vie et de soumission. Je comprenais aussi très bien que vous disiez ou sous-entendiez que les femmes avaient aussi une responsabilité vis-à-vis leur propre sécurité, et que parfois s’il arrivait un malheur elle devait se questionner sur ses choix, en fait se responsabiliser sur ce qui lui appartenait et remettre à l’autre ce qui lui appartenait.
Je me souviens aussi des courriels écrit avec véhémence, disant la nausée ressenti que votre phrase : « S’il y a des prédateurs, c’est qu’il y a des proies… » Avait provoqué à l’époque. J’ai voulu vérifier à l’instant l’exactitude de vos paroles afin de bien vous citer, mais malheureusement cette page n’existe plus sur le forum BDSM ou abus parlons-en! Pourtant hier, j’y avais accès ??
En cherchant cette page, je trouve un texte du modérateur Elle_à_Lui, signé Isa, qui parle aussi de la victimisation de la soumise. Elle écrit :
Sujet du message: Deux sortes de victimes… Les différencier
« Il y a les volontaires (soumises ou masos), qui pratiquent parce que cela correspond à une envie réelle, à un besoin profond. Elles mettent en adéquation leurs attentes et leur vécu. Se soumettre demande une grande force de caractère, on l’oublie trop souvent.
Ensuite il y a des femmes qui se laissent convaicre que ça pourrait être leur envie… Attention, je ne dis pas que toutes celles qui n’auraient jamais eu l’idée de pratiquer, et qu’une rencontre vont faire basculer, entre dans ce cadre… Ce n’est pas si simple. Je m’explique… On retrouve souvent dans ce cas de figure, des femmes en rupture d’image de soi, ayant de gros problèmes identitaires, et souffrant de pertes de repères. Je rajouterais même qu’une femme de la premlère catégorie, après être passée entre les mains de personnes peu scrupuleuse, peut basculer dans la deuxième.
Il n’est plus alors question de soumise, mais simplement de personnes en était de DETRESSE AFFECTIVE GRAVE. Ce sont alors des personnes faibles, qui ne sont plus forcément capables de faire de distingo entre ce qui est bon pour elles et ce qui est destructeur. Elles ont même tendance à rechercher systématiquement le destructeur.
Elles entre dans une spirale que l’on appelle en psychologie ” le syndrome de la victime”, pour généralement, ne plus en sortir (sauf thérapie lourde et longue, qui dépasse largement le cadre de ce que nous pouvons offrir).
Certaines de ces femmes faibles, pour des raisons diverses, parviendront à une résilience seules… Soit parce qu’elles ont un caractère hors du commun, soit parce qu’elles rencontreront à un moment donné la bonne personne qui saura les prendre en charge efficacement… Mais ça n’est en aucun cas une généralité.
Plus souvent, elles rechercheront elles-mêmes à se replacer dans des situations de dangers, qui les conforteront dans ce statut de victime. C’est alors une fascination morbide dangereuse pour elles, mais aussi pour qui voudrait les aider. »
Je suis abasourdie de lire de tels préjugés. Pourtant je ne vois aucun commentaire suite à cet article, alors que la phrase de Monsieur Valmont avait provoqué pratiquement un tremblement de terre. Des personnes avait pratiquement banni Monsieur comme personnage non grata.
Je suis une « victime » de crime sexuel. J’adhère à ce que Monsieur exprimait à ce moment, soit la responsabilisation de ses actes. J’ai mis des années à comprendre et à admettre ma responsabilité, soit celle de ne pas avoir écouter ma voix intérieure qui me disait que j’allais droit vers un grand danger. Je n’ai pas écouté cette voix et il arriva ce que j’avais pressenti, cela n’annule pas, ne justifie aucunement les actes, le crime en lui-même.
Mais que suite à ce crime subi, je devienne dangereuse pour moi et pour toute personne qui voudrait m’aider (sauf de l’aide professionnelle et encore), que je me mette délibérément en danger, recherchant ce danger, que je ne sache plus ce qui est bon pour moi ou non, (Sauf Maître bien évidemment en BDSM)….
Il ne reste plus qu’à me faire déclarer inapte complètement.
Je mets en copier un texte de saratoga qui est auteur sur le site d’Isabelle Alonso. Elle exprime et décrit très bien ce que je peux ressentir présentement.
Pourquoi on a défiguré le mot “victime” par Saratoga.
« Victime : personne qui subit la haine, les tourments, les injustices de quelqu’un. Par extension, Victime de (souvent attribut ou en apposition sans article) : personne qui souffre, pâtit (des agissements d’autrui, ou de choses, d’événements néfastes). » Petit Robert
Une victime est quelqu’un qui subit un préjudice et qui en souffre. On peut être victime d’une agression, d’un cambriolage, d’un vol. On peut aussi être victime d’un accident, d’un tremblement de terre ou d’une inondation. Les ressources physiques ou psychiques de la personne qui subit le préjudice n’interviennent en rien dans la définition de celui-ci. Le fait que je sois victime d’une noyade ne permet pas de conclure que je ne sais pas nager. Peut-être que je ne savais pas nager et que je me suis noyée dans deux mètres d’eau. Peut-être que j’étais médaillée d’or aux championnats du monde de natation mais que je suis tombée dans un redoutable torrent en crue. De la même manière, le fait que j’aie été victime d’un cambriolage ne sous-entend pas que je ne sais pas fermer ma porte à clé. Peut-être que j’avais vraiment oublié de fermer la porte. Peut-être a-t-elle été défoncée à coups de pied de biche. Le mot « victime » n’apporte qu’une seule information à mon sujet : quelque chose est arrivé qui s’est avéré néfaste pour moi et j’en souffre. Nulle part il n’est fait allusion à mes compétences.
En conséquence, par quel tour de passe-passe aberrant les termes « victime d’agression », « victime de violences » ou « victime de viol » pourraient-ils sous-entendre que la personne qui a subi le préjudice est plus faible psychiquement que quelqu’un d’autre n’ayant pas souffert des mêmes crimes ou délits ? Avec l’apparition du fameux « victimisme », la nouvelle mode veut que l’on associe le terme « victime de violences » au terme « faiblesse ». Du « On s’intéresse moins à celle qui réalise des exploits qu’à la victime de la domination masculine », écrit par Elisabeth Badinter dans son livre Fausse Route, au « Ma mère n’était pas une victime, elle était professeur de philosophie et aimait sortir et bien s’habiller » déclaré récemment par Franz-Olivier Giesbert sur un plateau de télévision à propos de sa mère battue par son père, tout nous porte à croire que les femmes peuvent être divisées en deux catégories : les femmes fortes, vivantes, courageuses, indépendantes, d’une part, et les femmes victimes de violences, d’autre part, les secondes étant nécessairement faibles, impuissantes, tétanisées de terreur sous leur couette, incapable de vivre. Pourtant, opposer les femmes fortes aux femmes victimes a aussi peu de sens que d’opposer les femmes grandes aux femmes aux yeux bleus. On peut être forte et victime, faible et victime, forte et pas victime, faible et pas victime. Les deux notions sont indépendantes.
D’ailleurs, comme c’est étrange… à peine a-t-on associé le terme « victime de violences » à « faiblesse » que l’on se dépèche de le désolidariser du seul terme qui devrait véritablement lui être adjoint, à savoir la « souffrance ». « Est-il possible d’ajouter les actes physiques aux sentiments psychologiques comme s’il s’agissait d’éléments de même nature ? Est-il légitime de réunir sous le même vocable le viol et une remarque désagréable ou blessante ? On dira que, dans les deux cas, une douleur est éprouvée. Mais ne serait-il pas plus rigoureux de distinguer entre la douleur objective et la douleur subjective, entre la violence, l’abus de pouvoir et l’incivilité ? » se demande Elisabeth Badinter, représentante de ce courant de pensée. Désormais, on est tout près de soupçonner les douleurs psychiques d’être une construction de l’esprit des personnes qui les subissent. Autrement dit, non seulement la « victime » est un être arbitrairement défini comme faible, mais en plus, ce n’est même pas sûr qu’elle souffre vraiment !
Une fois le mot « victime » vidé de sa substance et redéfini de cette manière, l’épouvantail du « victimisme » peut être brandi en toute impunité. Les « victimes de violences » ne sont plus des femmes courageuses, lucides et autonomes se battant contre la douleur, que l‘on pourrait admirer comme on admire les personnes malades se battant contre la maladie ou les personnes victimes d’un handicap (notez que dans ce cas, le mot victime n’a pas changé de sens) se battant contre le handicap. Ce sont des femmes faibles, aveugles et dépendantes qui font tout un raffut parce qu’elles s’imaginent souffrir quand, en fait, elles ne ressentent rien du tout.
Or qui sont-elles, ces femmes soudain transformées de combattantes en hystériques par un tour de passe-passe linguistique ? Elles sont les femmes qui dénoncent les violences sexuelles. Elles sont les femmes qui dénoncent les incestes. Elles sont les femmes qui dénoncent les coups et blessures. Elles sont les femmes qui dénoncent tous les jours les crimes commis par les hommes sur les femmes, par les parents sur les enfants – donc par les dominants sur les dominés. Elles sont la voix des dominé-e-s qui ont décidé que le silence devait cesser.
Mais, contrairement aux crimes que la société a pris l’habitude de reconnaître et d’intégrer, ces crimes particuliers que sont les crimes commis sur les femmes par les hommes et sur les enfants par les parents sont des crimes invisibles qui ne dérangent personne. Ce sont les révélations de ces crimes, et non les crimes eux-mêmes, qui troublent l’ordre public. Ce ne sont pas les violeurs qui violent qui font désordre. Ce sont les victimes qui parlent des viols qu’elles ont subis.
C’est pour cela qu’il faut faire taire les victimes de ces crimes. C’est pour cela qu’il faut nier ce qu’elles sont, donner un nouveau sens aux mots qu’elles emploient. On ne peut pas contrer leurs arguments en disant qu’elles ont tort – parce qu’elles ont raison. Mais on peut décrédibiliser leur parole en prétendant qu’elles ne savent pas ce qu’elles disent. La réalité nous déplaît ? Traitons-la d’hallucination.
Je suis une victime qui refuse que le silence de sa souffrance soit offert en sacrifice sur l’autel de la quiétude publique. Je refuse qu’on me vole mes mots, mon vocabulaire, qu’on se les réapproprie pour faire de moi ce que je ne suis pas, pour prétendre que je ne souffre pas autant que je le dis et que je ne suis pas aussi forte que je le suis. Un ordre soi-disant « public » qui ignore la réalité des crimes sexuels n’est pas un ordre « grand public ». C’est un ordre « des dominants » qui cherche à cacher la réalité des crimes des dominants sur les dominés. Si j’avais été victime d’un attentat, personne n’essaierait de me voler ce que je suis, personne ne sous-entendrait que je suis faible et que ma souffrance est imaginaire. Mais j’ai été victime de crimes sexuels – c’est pour cela qu’on essaie de défigurer le mot qui me décrit. »
Saratoga , avril 2004
Monsieur lorsque vous écrivez :
“Je ne peux que recommander à tout personne dominante de lire Victime, bourreau ou sauveur : comment sortir du piège ?, avant de lui donner son premier rendez-vous à cette garce.”
Comment peut-on savoir avant même le premier rendez-vous, que la personne a une personnalité de « victime »? À moins que l’on présume dans notre esprit, que « Toutes » les femmes soumises, ou les personnes soumises, sont des « garces » qui utilisent sciemment la victimisation. Je ne peux adhérer à cela. On est tour à tour dans notre vie, victime, bourreau ou sauveur. Les commentaires des autres participants expriment très bien ce point.
Comme vous dites si bien, Lorsqu’il y a Prédatrices….c’est qu’il y a des proies.
Je vous suggère aussi le livre de Guy Corneau : Victimes des autres, bourreau de soi-même, Les Éditions de l’Homme, Montréal, 2003
Comment nous nous croyons victime des autres alors que nous sommes victime de nos propres conditionnements. Élaboré à partir de la légende d’Isis et d’Osiris.
Merci à ceux et celles qui ont eu la patience de me lire jusqu’au bout.
duc leto2 écrit :
Comme vous le dites “liberté”, la lecture est longue mais très intéressante.
Il est vrai que le rappel de la définition de la victime , etait important.
Beau travail et belle conclusion.
amitié
duc Leto2
Monsieur Valmont écrit :
La phrase « S’il y a des prédateurs, c’est qu’il y a des proies… » n’est pas de mouah.
J’avais lancé un fil de discussion dans le forum Être à vos pieds (EAVP) et cette phrase (une provocation bien inutile venant d’on ne sait qui) est apparue inopinément, soulevant l’ire d’isafc70, une des admins du forum Bdsm ou abus, qui contribue à l’occasion à EAVP. Cela avait engendré un dérapage en règle qui a valu malheureusement à la discussion de disparaître d’EAVP, ou en tous les cas une bonne partie, si ma mémoire est bonne.
Je dis : malheureusement. Car je crois toutes les discussions utiles. Censurer ce que l’on veut pas lire ou voir n’efface pas la pensée qui mène à ce type de raisonnement. Faire taire les gens qui ne sont pas d’accord avec soi, cela a engendré les pires massacres de l’histoire humaine, ai-je vraiment besoin de vous faire un dessin?
La politesse et la rigueur sont de mise lorsque nous discutons dans des espaces publics. Le bon droit et la défense de la veuve et de l’orphelin, ne nous donne pas le droit de s’emporter et de perdre la mesure.
Au fait, la phrase que j’ai utilisée est plutôt la suivante : « Dans le contexte bdsm, s’il y a des prédateurs, c’est qu’il y a des proies… consentantes. »
Vous avez fait écho à mon propos, mlle liberté{+}, en relatant ce moment où votre petite voix vous a conseillée la prudence et que vous avez passé outre. Je ne suis pas d’accord avec ce qui est arrivé, mais vous avez pris votre décision en grande fille que vous êtes. Cela n’excuse en rien les gestes qui ont suivi, mais vous êtes malheureusement en partie responsable de ce qui vous est arrivé.
Vouloir faire l’économie de cette responsabilité qui vous appartient comme adulte, comme femme et comme soumise, ce serait exactement tomber dans les pièges décrits par Petitcollin.
Je me demande même si la soumise qui n’accepte pas de porter la responsabilité de ses actes, ne revit pas à répétition des événements contraires à ses aspirations légitimes.
liberté{+} écrit :
Bonjour Monsieur Valmont,
Merci d’avoir rectifier le contexte de votre phrase. À mes yeux cela fait une différence.
Car il est vrai que “Dans le «contexte bdsm», s’il y a des prédateurs, c’est qu’il y a des proies… «consentantes».” en tout cas, c’est du moins ce qui devrait être.
Je tiens à spécifier tout de même, qu’il y a des victimes de crime, qui n’ont pas ressenti, ou pas été prévenu par cette petite voix intérieur. Elles sont tout simplement victime de…. Jamais elle ne connaîtra les raisons, les motifs et “le Pourquoi moi?” demeurera en totalité. Accepter que l’on soit une victime est loin d’être une chose facile. Il y aura toujours une culpabilité ressenti. Cendrillon nous a appris qu’un jour le Prince charmant viendra…tu l’épouseras, tu auras des enfants et tu vivras heureuse jusqu’à la fin des jours. Le Prince est venu, mais il était loin d’être charmant.
Ce qui m’interpelle particulièrement, ce sont des textes comme celui d’Isa, où l’on analyse un comportement, que l’on fasse pratiquement un diagnostic et cela sans aucune compétence professionnelle. Que l’on ajoute dans ce texte que la personne spécifie qu’elle ne détient pas les compétences nécessaire et recommande l’aide professionnelle, n’enlève rien à la gravité de ce texte.
Lorsque des personnes victimes de crimes sexuels, recherche de l’aide, souvent elles le font de façon indirecte, du moins au début du drame. Une communauté comme BDSM ou abus, parlons-en! peut aider grandement, mais elle peut aussi nuire grandement. Il serait sage qu’un psychologue fasse vraiment partie de cette communauté pour mieux les aiguiller dans leurs propos, afin d’aider comme ils le souhaitent ces victimes.
Un Maître dont sa soumise a été victime de crime sexuel,n’est pas non plus psychologue ( à moins d’une formation réelle), il ne peut se substituer à celui-ci, mais il peut tout de même aider énormément sa soumise, ne serait-ce qu’en l’écoutant se raconter sans la juger, ne serait-ce qu’en détectant lors des jeux, sa peur, sa panique. Des sentiments qui sont loin de vouloir jouer à la victime, mais bien et bel ressenti, vécu. Qu’un Maître arrive à cela est énorme. Il pourra mieux la guider vers une aide adéquate, la soutenir dans cette démarche.
Une soumise victime de crime sexuel,fasse confiance ainsi à son Maître et lui remet sa sécurité tant physique que psychologique entre ses mains, est pour moi la plus grande preuve de confiance et de respect qui soit. C’est aussi sa façon de dire, je fais confiance en la vie, je me fais confiance, et malgré ce que j’ai vécu, je fais confiance à l’être humain, et oui il y a des hommes vraiment “prince Charmant” je le sais je l’ai rencontré.
Monsieur Valmont écrit :
Je n’ai jamais dit ou écrit que « toutes » les femmes soumises, ou les personnes soumises, sont des « garces » qui utilisent sciemment la victimisation. Je ne pense rien de tel.
On en croise de ces femmes soumises qui jouent les victimes. Elles ne forment pas la majorité de celles que l’on croise dans les espaces bdsm.
En général, Leto s’en fait l’éloquent porte-voix par son commentaire, on a tendance à croire que la soumise qui joue la victime, ou qui s’adonne à des jeux psychologiques, on s’en apercevra tout de suite. On semble avoir tendance à croire qu’il ne peut s’agir que de cas « lourds », où le pathologique s’aperçoit du coin de l’œil. Nous savons bien qu’il n’en est rien.
Mlle liberté[+] demande : “Comment peut-on savoir avant même le premier rendez-vous, que la personne a une personnalité de « victime »?”
C’est une bonne question.
Pour le moment, je souligne tout simplement aux dominants intéressés à prendre une soumise sous leur aile de ne pas négliger ces questions. D’où l’intérêt des observations de Petitcollin.
2D écrit :
il découvre l’analyse transactionnelle, qui est une modélisation de TOUTES les relations (intéractions/ communications) humaines… Allez je me gausse un peu mais c’est sans méchanceté. Lisez tous donc Eric Berne, puis lisez la process communication et là aussi, vous découvrirez de nouveaux outils de comm bien intéressants.
abuelita écrit :
j’approuve l’idée que les “soumises” jouent beaucoup sur le fait qu’elles n’ont qu’à simplement se laisser “guider” et si ça ne marche pas, les voilà “victimes”, j’ai moi-même en un temps lointain voulu devenir “soumise” dans le SM et je suis tombée sur un malotru rencontré sur un site BDSM, j’en ai fait une vraie maladie pendant un an et aujourd’hui je réfléchis à froid et je me rends compte qu’étant adulte et responsable, je devais m’en prendre qu’à moi-même, ce genre de problèmes peut arriver à toutes les femmes même vanilles, aujourd’hui je m’intéresse toujours au SM mais pour rien au monde je ne veux être la “soumise” d’un Dom, trop peur d’être encore “victime” ce qui gâche complètement le PLAISIR
mik nantes écrit :
Victimes , pas victimes ? je viens de lire vos commentaires , tous sont tres intéressants ; je veux juste mentionner avoir passé 7 années avec une femme qui aimait lesjeux de soumissions …. seulement , il y a un hic! j’ai réalisé trop tard qu elle était perverse narcissique , et j’ai payé très cher mon aveuglement ,si vous ne savez pas ce que c’est allez faire un tour sur le net , vous en saurez plus ,mais c’est une situation mille fois plus toxique que d’avoir a faire a une victime ; voila ,
Monsieur Valmont écrit :
En vertu de votre propre expérience, qu’est la perverse narcissique?