« Le désir, lié à des moments clés comme le plaisir, la tendresse, la joie, le bonheur ou l’émotion, est un facteur d’accomplissement de soi à travers l’autre.
« L’autre m’est utile pour réaliser ce qu’il y a de plus convivial dans le désir, à savoir le partage. Il m’est utile, comme je le suis également à sa quête de bonheur.
« Aussi l’émoi le plus singulier et le plus secret de tous, à savoir le désir d’être, ne se parfait-il vraiment qu’à ces conditions : la présence du sujet, la présence de son alter ego, sûrement, et l’émergence d’une volonté initiale qui serait de l’ordre de l’appétence, du besoin d’être, de l’envie, pour les englober et les dépasser. Si l’une de ces conditions venait à manquer, l’émotion s’achèverait d’elle-même.
« Parler du désir, c’est en quelque sorte parler de soi, mais parler de soi ne signifie rien d’autre, hormis le soliloque, que cet autre moi-même, alter, y soit inclus. »
Plus loin, Malek Chebel écrit :
« Parler du désir, c’est fondamentalement parler d’autrui; parler d’autrui n’est rien d’autre que de se dire soi-même par un autre biais, indirectement, se jouer dans le miroir joyeux que l’autre me tend; enfin, parler de soi par l’entremise de l’autre n’est que le début d’une socialisation, l’instauration d’un lien de culture, la représentation de soi donnée en partage.
« La boucle est bouclée : le désir de l’autre m’est nécessaire dans la mesure où il me ramène à la seule énigme que je n’arrive pas à résoudre complètement, à savoir l’être-en-soi, l’humain autre et tellement semblable qui, à chaque instant, fait de moi une exception ontologique et un cas d’espèce, une philogénie.
« L’être-en-soi, c’est la part que je dois à l’univers tout entier d’avoir fait de moi cette singularité particulière qui ne se survivrait pas à elle-même dans la mesure où elle tient sa vie de l’en-soi-des-autres en moi, de leur inclusion permanente, de leur présence charnelle et de leur fantôme qui ne cesse de me hanter.
« Ce n’est pas l’autre qui m’intrigue ou me fascine en tant qu’individu particulier, c’est cet être-en-soi qui s’applique à le rendre tel, et sur lequel il pose son énigme à ciel ouvert : l’éventrer pour mieux l’exposer.
« Car il se projette sur moi autant que je projette sur lui la part insondable de tout être singulier, à commencer évidemment – mais pas seulement – par le désir.
« Le regard que je pose sur cet autre trahit mes convictions de la même manière qu’un miroir aurait réfléchi l’image défaite du vaincu qui ne veut pas s’avouer vaincu. Je suis toujours impressionné par la force des vaincus. Être vainqueur est sans doute une situation exigeante qui implique une grande responsabilité, mais être vaincu c’est plus fort encore.
« Le vainqueur est-il suffisamment sensible à l’humilité, au cheminement lent et aux nombreux échecs que requiert sa victoire ?
« Ou, pour parler comme les taoïstes, le vaincu serait-il le vrai « vainqueur » ? »
Lu dans Du désir, par Malek Chebel, Manuels Payot, 2000, ISBN : 2-228-89276-9, pp. 40-42.
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